A quoi pensent les jeunes elfes avant de s'endormir ?

Elle ne dormait pas.

Adossée à un tronc, son précieux et léger fardeau posé sur ses jambes en tailleur, elle contemplait le jeu des feuillles noire de nuit sur la voûte étoilée.

Ne s'étaient ils pas engagés à la légère envers la dryade ? Probablement. Son instinct lui disait que la nixe n'était pas venue en ville de son propre chef. Et elle avait une foule de théories dans lesquelles se débarasser de l'agresseur de la petite créature devenait hasardeux politiquement parlant.

Celanil*, par exemple aurait parfaitement pu, entre sa nature d'elfe et ses pouvoirs de mage être au courant de l'existence du dernier des Nal. Et il va de soi que la maitresse de la tour d'entropie eut pu fort bien être intéressée par une petite fée sans défense. En outre, c'était tout à fait un "être maléfique". Mais Celanil était remarquablement protégée... Et ils manquaient d'éléments susceptibles d'étayer cette thèse.

Donc Hilizil était inquiète. Mais en même temps, elle s'était rarement sentie aussi exhaltée. Une part de la candeur qui aurait du être la sienne à cet âge refaisait surface quand elle regardait la petite chose phosphorescente dont elle avait la garde. Et en même temps cette sensibilité délicate qu'elle cachait de son mieux. Elle reprenait contact avec ses racines et une conception de la vie plus "elfique".

Des pensées gênantes lui venaient alors souvent à l'esprit, qu'elle repoussait faiblement en rosissant. Quelque chose de doux, de chaud, d'un peu douloureux, mais délicieusement, qui s'accaparait quelques secondes sa psychè.

Il en fallait beaucoup pour faire rosir Hilizil.

Et elle songeait qu'un regard différent porté sur elle, un qui ne soit ni désir, ni mépris, celà la changeait agréablement. Que c'était peut être là ce qui lui manquait : pouvoir à nouveau rêver. Elle ne détestait pas l'idée d'un rêve inaccessible. Elle préférait qu'il le demeure. C'était plus joli. C'était rassurant.

Puis elle se reprit. Ce n'était pas le moment de se mettre à penser des bêtises !

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* Ce n'est qu'une des hypothèses de Hilizil

C'était un soir doux entre tous.

Elle avait fait semblant de s'endormir car elle savait qu'"il" attendrait qu'elle le soit pour s'abandonner au sommeil. Il aurait pu attendre longtemps. Hilizil était une petite dormeuse. Ce qui d'ailleurs l'avait bien servie. Quand on est du demi monde, les journées sont longues et les soirées s'étirent parfois jusqu'au petit matin. Alors elle avait gentiment "triché" car il avait besoin d'avantage qu'elle de repos.

Elle observait le plafond. Le rythme de sa respiration, doux mais ample, était la seule infraction au calme réglementaire du milieu de la nuit. Un chien avait bien hurlé un moment, mais trop loin pour réveiller les clients du Lotus Blanc. Les affres d'une relation "sérieuse" étaient nouveaux pour elle. Elle le vivait mal. Son orgueil souffrait de la dépendance amoureuse. Mais qu'elle essaie de s'éloigner et la morsure du manque la tenaillait.

D'ordinaire Hilizil était pragmatique et calculatrice, dissimulant derrière un cynisme de façade ses manques, ses angoisses et un sens de l'étique certes très personnel, mais réel. Ce qui jetait bas le masque était inconfortable. Si encore elle avait pu croire en la possibilité d'une liaison longue et heureuse, elle eut pu s'accomoder de cet inconfort. seulement voilà : la jeune elfe savait que la plupart des histoires d'amour finissent mal. Elle avait vu suffisamment d'hommes mariés venir se consoler, entre ses cuisses, d'épouses que les ans, les maternités, les déceptions de la vie avaient éloignées d'eux...

Le jeune homme à coté d'elle irradiait de chaleur. Le bien être se changea très vite en une douce tension. Elle ferma les yeux en se disant que ça passerait. Mais ça ne passait pas. La tentation devenait délicieusement insurmontable. Oserait-elle le réveiller ? S'abandonner à son désir charnel dans l'espoir qu'il lui oterait une part de ses angoisses ? La pulsion de vie contre celle, mortifère de se laisser sombrer dans les eaux noires du pessimisme ? Il avait besoin de dormir. Mais elle avait besoin de lui.

Elle préféra s'avouer vaincue et se pressa contre lui...

Elle s’était pelotonnée, seule, au fond du large lit. Les baldaquins semblaient se projeter sur les murs en baroques volutes tremblotantes. Le spectacle à la longue la lassait. Mais le sommeil ne venait pas. Comme d’habitude. Ou pour être plus exacte : encore moins que d’habitude.

…

Quelques heures auparavant, elle avait décidé de rallier la ville afin d’y régler une ou deux affaires. Rien de bien urgent. Mais elle n’aimait pas laisser les choses « en cours » et l’aventure du bois des murmures l’encourageait à mettre tout à plat.

Dans ses pensées et persuadée que ces campagnes mille fois arpentées étaient sûres, elle ne fit pas aussi attention qu’elle aurait du. Elle ne vit pas l’homme avant qu’il ne soit assez proche. Ce n’est que quand il la héla qu’elle sentit un danger. Elle le jaugea.
C’était une vraie caricature de brute. Tout en muscle, tatoué, crêtes et cicatrices comprises dans le lot. Une part d’elle-même tenta de se raisonner : l’habit ne fait pas toujours le moine…

Ce fut une erreur. Elle aurait du écouter son instinct et fuir.

Après une brève tentative de résistance, l’elfe fut mise hors d’état de nuire (enfin de se défendre, plutôt). C’est inconsciente et ficelée comme une ravissante petite saucisse dorée qu’elle fut emmenée dans le sombre repère du brigand. Revenant à elle (grâce à la délicatesse des beignes du pillard), elle prit toute la mesure de sa situation.

Elle tâcha de calmer ses premières attaques de panique. Sa survie dépendrait directement de sa capacité à garder la tête froide. Elle se fit donc dure et lisse. Et même quand il lui signifia son intention de la violer à un moment ou un autre, elle le prit avec sang froid. Ce n’est pas que la perspective l’enchantait mais s’il fallait écarter les cuisses pour survivre, elle s’y plierait. « Quoique vous me fassiez, il n’ya rien que je ne pourrais oublier avec un bon bain. »

Il exigea un nom à qui réclamer une rançon. La petite tête de l’elfe se bousillait les méninges à chercher une idée. Si elle lui livrait celui qui lui venait spontanément à l’esprit, elle révélait une situation qu’elle voulait garder secrète (dans l’intérêt même du principal intéressé). Par ailleurs, elle ignorait si ce bandit ne pourrait pas faire du mal à son amant. Elle prit donc le parti de jouer le jeu autrement. Il lui fallait un gros mensonge. Un truc énorme qui fasse peur au brigand…

Comme il la menaçait d’un deuxième sourire sous le premier si elle ne lui disait rien, elle lui lâcha que ce serait une mauvaise idée… Que ses employeurs ne seraient pas contents…

« Qui c’est tes employeurs ?
- Le genre pas commode, qui n’aiment pas qu’on marche sur leurs plates bandes… D’ailleurs le fric que vous m’avez pris est à eux.. »
Bingo ! Il y croyait. Et il regardait avec une expression de crainte ahurie les dragons qu’il avait volés à la jeune barde. Ne pas en rajouter. C’était inutile. Il en est des mensonges comme de l’Art. : Il faut savoir quand s’arrêter.

Seulement voilà : Être une bonne menteuse, ça se retourne parfois contre vous. La décision fut prise d’aller zigouiller l’elfe ailleurs que dans son repère, histoire qu’elle ne parle pas à ses redoutables (mais fictifs) commanditaires. Et Hop ! La revoilà portée comme un sac à patates.

« Ne panique pas. Sortir de cette caverne est une bonne chose car on peut croiser quelqu’un et ,en ce cas, il me faudra crier. Mais si on ne croise personne, je suis très mal. Qu’est ce que je fais ? QU’EST-CE QUE JE FAIS ? Attendre. Attendre est ma seule option… »

Une attaque de loup sur le chemin. Sa tête qui heurte le sol violemment. Le noir.

Quand elle revint à elle, quelques minutes plus tard, elle était toujours allongée par terre et toujours saucissonnée. Les loups la regardaient, de loin, en se demandant si elle était ou non une proie. La raclure l’avait laissée là, histoire qu’on ne puisse jamais remonter jusqu’à lui.

La haine bouffe de l’énergie. Et la jeune elfe était trop faible pour se permettre de la gaspiller en imprécations envers son agresseur. Avisant une pente douce menant vers la route, elle entreprit de rouler afin de la rejoindre. Ses chances de croiser un sauveteur y seraient un peu plus élevées. Et les loups hésiteraient peut être d’avantage (Ce second point était douteux mais on fait avec les espoirs qu’on a).

Ce n’est qu’avec beaucoup de mal qu’elle y parvint, écorchée, blessée, épuisée et à un doigt de s’avouer vaincue. Le désespoir la gagnait au fur et à mesure que les loups, curieux, se rapprochaient. Ce n’était pas tant la mort qui l’effrayait que cette mort là. Misérable et seule, dans la boue et la douleur. A part prier, elle ne savait plus que faire. Il était temps de réfléchir auquel des neuf elle souhaitait tout particulièrement recommander son âme… Pas facile…

Bruit de pas. Son premier réflexe fut de faire la morte « au cas où ». Mais très vite elle réfléchit. Les pas étaient lointains et ne venaient pas vers elle. Il fallait les attirer. Certes, ce pouvait être un danger mais…

« Je vais mourir… de toute façon… »

Dernier acte de « foi » : Pousser Un hurlement. Le plus fort qu’elle put !

…

Une heure plus tard Le « grand » Rey Mysterio ramenait Hilizil à Sous-Colline, ou elle fut soignée mais resta longtemps en état de choc. Il fallut bien plusieurs heures à la jeune elfe pour que cessent crises de larmes et spasmes nerveux. Il faudrait aussi quelques temps pour ne plus en faire de cauchemars bien qu'elle l'ignore encore. A ce moment précis, elle réalisait juste ce à quoi elle avait échappé de justesse.

Ah oui : Le bandit n’échappa pas à la juste fureur de Fulrim incarnée dans le bras vengeur d’un Arthur Dantès vraiment pas content. Tout était bien donc…

Mais ce soir, un bilan s’imposait. Aurait elle du livrer un nom ? N’avait elle pas été orgueilleuse en bernant le bandit ? Oui et non. Elle avait vu son visage, après tout, il ne l'avait jamais dissimulé. Même si on avait versé une rançon pour elle, rien ne pouvait certifier que ce salopard n’aurait pas abusé d’elle avant de l’assassiner.

Elle avait eu raison de courir sa chance.
Ce ne fut que quand ce dernier doute fut balayé qu’elle put enfin trouver un sommeil qui ne serait pas paisible pour autant.

Sans être lâche, Hilizil n’était pas à proprement parler bien dans ses chausses. L’ambiance était glaciale quand elle arpentait les rues de la ville.

Car il avait bien fallu sortir enfin. Pas pour longtemps, juste celui de respirer l’air du dehors et de voir si elle ne pouvait pas « le » croiser par inadvertance. Il lui manquait.

Mais elle ne l’avait pas vu. Il ne fallait pas trop trainer dehors. Entre les imbéciles prêts à en découdre avec n’importe quel elfe et ses propres ennuis, elle ne pouvait pas s’attarder. Elle trottinait donc pour rallier le lotus blanc….

Le coup lui coupe la respiration. D’où est il venu ? Le pavé froid crisse sous ses ongles tandis qu’elle tente de se relever. Mais une poigne solide l’y aide instantanément en tirant sa chevelure par le haut. Elle n’a pas encore retrouvé son souffle et n’arrive même pas à crier sa douleur. Recoup. Re par terre. L’elfe est complètement hébétée tandis qu’un goût de sang lui envahit la bouche.

« Salut chérie ! Je t’ai manqué ? »

La voix est jeune, veloutée. Pas de celles qu’on imagine pouvoir appartenir à une brute. Il l’attire contre lui et la broie presque. Elle tente de le repousser, plus par réflexe et peur qu’autre chose. Son souffle lui revient...

"Lâche moi ! Siméon ! Lâche moi !"

Elle se retrouve bloquée contre un mur, une main sur la bouche, littéralement à sa merci.

« Tu as de la chance, Putain. Je n’ai plus le temps de m’occuper de toi comme il convient. Mais je reviendrai. Et je te ferai chanter comme jamais, ma belle…»

Puis sa tête heurte le sol alors qu’un garde, attiré par les cris, arrive. Il ne voit qu’une ombre masculine qui s’éloigne en courant. Porter secours à la jeune elfe est le plus urgent...

Elle resta longtemps dans sa chambre alors que son garde du corps d'une nuit était parti. Toute la journée, en fait. Une chaise sous la poignée et un piège à acide rudimentaire relié à une clochette formaient un signal d'alarme bricolé, mais efficace. Une servante avait failli y tomber que la jeune elfe avait congédié à travers la porte.

Hilizil n'avait, durant l'agression guère eu le temps de réfléchir. Mais depuis son réveil, elle n'avait cessé de pousser ses neurones à s'agiter. Sa sensibilité naturelle, elle l'avait "matée" par la pratique régulière de la réflexion logique. Elle était même persuadée que sa ruse était, dans toutes les situations, sa meilleure arme. Mais force était de constater que dernièrement, elle ne lui avait été que d'une aide très limitée.

Elle avait eu tort de jouer le jeu comme elle l'avait fait. Mieux aurait valu savoir ce que cet homme voulait et donner l'impression d'y consentir, histoire de gagner du temps et d'avoir quelques éléments pour savoir de quoi il retournait. Elle aurait ainsi évité un très mauvais moment et aurait pu informer ses alliés de ce qui se tramait.

Il avait été très malin. La dénuder était l'acte le plus révélateur. Il s'agissait moins d'une agression d'ordre sexuelle que de la "déshabiller psychologiquement". Chacun des mots qu'il avait prononcé avaient été pesés. Qu'il s'agissent de la menacer ou de tenter de la soudoyer. Il n'avait pas versé son sang immédiatement après son refus, preuve qu'il espérait encore la faire plier, jusqu'à ce qu'elle tente d'échapper à son emprise.

Donc, un type froid, extrêmement rapide, et très intelligent. Manipulateur expert, même. Un bon portrait psychologique de base. Et sachant bien se servir d'une dague. A ses paroles, elle pouvait même l'imaginer suivant de Charybdès. Mais là, on entrait dans les hypothèses et elle devait se borner aux faits seuls.

Sa voix. Sa voix était l'élément le plus parlant, sans mauvais jeu de mot. Elle lui était étrangement familière sans qu'elle arrive à mettre un visage dessus. Hilizil avait toujours, en bonne musicienne, été extrêmement sensible aux voix. Celle de l'homme devait lui avoir plu à un moment ou un autre. Il ne s'en servait pas mal. Mais il ne faisait passer aucun sentiment à travers elle. C'était une voix paradoxale qui aurait pu traduire une certaine sensualité si elle n'avait pas été vecteur de quelque chose d'aussi froid et impitoyable que sa lame. Elle n'en avait pas perçu toute la tessiture car il parlait bas. Il lui semblait cependant qu'il devait être baryton... ce qui était finalement assez répandu, mais avec une note singulière... Peut être la déguisait il. Si elle l'entendait à nouveau, elle le saurait...

Mais elle n'avait aucune envie de l'entendre une nouvelle fois. Elle réprima un frisson à cette pensée...

Restaient deux questions fondamentales que son incompétence laissait en suspend. "Pourquoi elle ?" Et "que faire ?"

J’étais face à la tombe et la tombe parlait.

J’étais face à la tombe et la tombe parlait.
Ecrivait sur mon âme des mots doux d’encre noire
qui bavaient sous mon crâne un profond désespoir.
J’étais face à la tombe et la tombe parlait.

Sur mes joues impures de fille trop légère
A coulé les torrents éphémères du fiel
Et la tombe séduisante se voulait de miel
Pour mon cou tremblotant de fille trop légère.

Je lui ai dit qu’enfin elle pouvait bien me prendre
Elle peut bien me détruire, je n’y pourrai rien
Elle peut me briser en caressant mes reins.
Je le savais enfin. Elle pouvait bien me prendre.

Mais elle est impuissante à gagner mon sourire
Et mon consentement à un jeu bien cruel
Mon corps restera froid, mon esprit sera rebelle.
Car elle est impuissante à gagner mon sourire.

Terrifier est facile et briser plus encore.
Mais gagner mon estime, si catin sois-je
Ca demande quand même un peu plus de courage
Que tripoter les filles en atours de non-mort.

De ce qu’elle m’a fait, j’irai me nettoyer,
Cette tombe parlante au malingre courage,
Entre des bras gentils j’étoufferai ma rage.
Et avant un bon mois l’aurai toute oubliée.

Alors, bien sûr, ce n'était pas le Lotus Blanc. Mais les draps étaient propres. De toute façon, vu le supplément qu'elle avait consenti à payer, ils avaient intérêt à l'être. Et elle devait également payer un dragon d'or en plus pour avoir l'assurance d'avoir un baquet d'eau chaude chaque jour de la semaine. En effet, il faut bien dire que la majeure partie de la clientèle ne prenait pas de bain tous les jours.

De même l'intimité était limitée. C'est à dire que sa chambre donnait directement sur la grande salle. Elle avait d'ailleurs indiqué à Georges et à Lauralee ou elle se trouvait, et devait avertir une troisième personne... dont il ne sera pas fait mention ici.

Mais bon, la porte fermait à clef et c'était le plus important. Qu'importe si on pouvait aisément entendre de l'extérieur ce qu'il se passait à l'intérieur. Pour certaines choses, elle pourrait retourner au Lotus blanc, pour la simple raison qu'elle n'y serait pas seule...

Que les chambres soient moins "isolées" qu'au Lotus était une des raisons de son choix. Et puis elle connaissait un peu le patron qui n'était pas un mauvais bougre et à qui elle avait expliqué la situation en l'enjolivant quelque peu. Elle avait joué à fond la carte de l'instinct protecteur masculin, tout en évitant d'en dire trop. Isendeul devenait ainsi un "soupirant éconduit" qui ne cessait de la suivre et de l'importuner. En atténuant la gravité des exactions de son ennemi, elle évitait au brave aubergiste de paniquer tout en s'assurant son soutien. Et puis, au vu de ce qu'il s'était passé, ce n'était pas à proprement parler un mensonge...

Dans son baquet d'eau chaude, Hilizil se laissait aller à des rêveries plus douces. quand elle s'avisa que, si Georges avait promis d'alerter les autorités, elle se devait néanmoins de prévenir quelqu'un en particulier. Elle espérait en outre que celà lui donnerait le prétexte de "le" voir... La jeune elfe sortit de l'onde. Après avoir sonné la servante pour que celle ci la débarasse du baquet, s'être habillée et parée, elle se mit à son bureau pour rédiger une courte missive...

Un peu de repos avant la bataille. Un peu de repos qui ne vient pas
Toute seule, dans son bain, Hilizil songe. Un sentiment de culpabilité l'étreint dont la source ne lui est que vaguement connue.

Elle se lève et se sèche, se contemple longuement dans un miroir grêlé que sa beauté illumine. Car elle est belle, Hilizil. Sans avoir rien fait pour. Elle s'observe avec un air d'intense réflexion. Elle pense aux mots de Matho sur sa beauté. Un "esclavage" ? Non. Mais si la chose l'a blessée, c'est que le non mort a mis le doigt sur un problème qu'elle ne s'était jamais posé clairement.

Oui elle est belle. Si harmonieuse qu'on pourrait la croire sortie d'un cerveau artiste. Elle a été modèle, d'ailleurs quelques temps, espérant croiser, dans un atelier, le fameux "Maitre de Skalde". Elle était fort appréciée à l'académie des arts de la capitale, car le modelé velouté de sa peau de nacre, harmonie de blanc et de rose ou des veines affleuraient par endroit comme pour en souligner la délicatesse, était particulièrement difficile à rendre techniquement. Comment donner l'impression de volume et ombrer cette merveille de pâleur ? C'était là ce qui avait torturé bien des artistes débutants...

Sa beauté ne l'avait jamais handicapée et elle n'avait rien fait pour la posséder. Elle lui avait au contraire ouvert des portes. Alors, certes, toute chose a ses inconvénients. Quand on a été habituée à être adorée pour ses appâts, on peut se demander si l'homme de votre vie vous aime vraiment ou s'il n'aime qu'une image. C'est une souffrance subtile, à laquelle elle ne s'était pas totalement faite, que ce doute là... Même si elle tâchait de s'en accomoder car ne pas être aimée de lui paraissait pire.

Mais esclave de sa beauté ? Non.

Elle fit un effort d'imagination. C'est à dire qu'elle se força à imaginer ce qu'aucune jolie femme n'aime imaginer. Les elfes ne sont pas soumis aux caprices du temps. Ils ne connaissent pas la vieillesse, du moins, pas à la manière des humains. Même un très vieil elfe garde une allure digne et assez agréable à regarder, au fond.

Mais ils peuvent mourir. Ils peuvent revenir, aussi.

Une femme humaine imaginerait le grand âge pour se faire peur. Hilizil imagina pire. Elle imagina le froid du tombeau, la putréfaction des chairs, l'odeur... Elle s'imagina réduite à l'état de soumise. Une horreur absolue ! L'espace d'un instant, sa raison s'altéra. Et elle laissa une panique violente l'envahir, à en tomber presque par terre ! Mais dans son miroir, c'était toujours la beauté glorieuse d'Hilizil qui lui faisait face, une expression de douleur immense dans son vaste regard d'elfe. Il ne l'aimerait plus, c'est certain. Plus personne ne l'aimerait, d'ailleurs.

Qu'avait elle fait pour les soumis, au juste qui devaient, outre l'injustice initiale d'une mort dérobée, supporter qu'on les traite en bêtes de somme ? Qu'avait elle fait pour dénoncer le fait qu'on avait institutionnalisé et légiféré pour rendre cette ignominie légale : qu'il soit possible de vendre ses parents, ou ses enfants décédés, pour peu qu'ils se soient relevés ?

Qu'avaient ils tous fait contre ça, eux qui faisaient la morale à Matho ?

Qu'avait elle fait pour Amédée ?

Rien du tout. Elle avait fait comme les autres. Elle avait accepté cette situation. Oh certes, elle se battrait tout de même contre les non morts, après tout il y avait dans cette ville des innocents : Les enfants qui méritaient de garder parents et foyer. La pensée des enfants la torturait tout particulièrement...

"Tu te bats pour tout le monde, mais pas pour les tiens.. " sussurra sa mauvaise conscience... "Ta gueule !" répondit la jeune elfe, face au miroir.

Elle se rhabilla. Le temple était à coté.

Arrivée là bas, elle fit, comme d'ordinaire, le tour des autels. Et chacun eut son petit cadeau, en plus d'un dragon. Une plume d'oie bien taillée de qualité supérieure pour Hyperios, une de ses épingles à cheveux les plus ravissantes pour Scylla. Pour Morotaï une dague simple, mais bien trempée et elle lui donna un dragon de plus qu'aux autres. Pour Belonna une pomme a l'air savoureux qu'elle avait soigneusement essuyée. Pour Lase, des airelles sauvages cueillies le matin même, Pour Ullanor, un nécessaire à couture dont le dé était en ivoire, Pour Fulrim, un poid à peser en bronze, pour Ashen- Kaï, une petite bouteille de vin nouveau.

Arrivée devant Nérée, elle s'arrêta plus longuement. Elle y laissa dix dragons et un livre qui l'avait particulièrement marquée à la bibliothèque, au point qu'elle l'avait acheté. Puis elle la pria longuement.

Tant il lui semblait qu'en cet instant dramatique ou les non morts s'aprétait à envahir la ville, l'aide de la ruse et de l'intelligence pouvaient faire la différence.

"Ô Nérée, donne une bonne idée à l'un de nous. Par pitié, donne nous le moyen de sauver cette ville..."

A Cinq heures de l'heure H. La cité se préparait. L'elfe priait. Elle ne savait pas encore ce qu'elle ferait. Son âme était une tempête alors qu'elle invoquait la calme Nérée. Peut être l'invoquait elle précisément pour celà.

Il avait fallu moins d'une heure pour que la morsure du regret lui vienne. Une fois la colère chassée. Une chance s'était pointée qui avait ramassé son chapeau pour repartir aussitôt.

Une réponse avait été écrite à un appel dont elle espérait, elle priait pour, qu'il ne mène pas vers plus de violences et d'horreurs. Elle en voulait à son amant. Elle lui en voulait car il savait que, peut être, quelque part, il y avait un soumis qu'elle avait de son vivant bien connu et dont l'idée qu'il soit traité en vermine la meurtrissait. Mais en même temps, le manque atroce se faisit sentir. Chaque fibre de son corps appelait après lui. Aurait-elle pu le freiner si elle était restée ? Quel effroyable moment pour le quitter !

Alors vint le désespoir. Elle eut l'impression d'une vie affreusement vide. Déchirée entre toutes ses loyautés, elle ne pouvait que prier en attendant qu'une mort par les armes vienne peut être la délivrer de ses chagrins.

Elle ne dormait pas. Elle vibrait de souffrance.

Hilizil est une petite dormeuse, on l'a dit. Et elle avait fini par ne plus supporter de dormir seule. Seule, ses angoisses la tenaillaient. Celle d'une elfe qui s'était émancipée un peu trop tôt, au prix d'un déracinement dont elle ne parlait jamais. Il ya de celà quelques mois, le nombre de ses amants fournissait un palliatif à ce problème qui, depuis, la tenaillait bien d'avantage.

A celà s'ajoutait nombre de soucis. Son amant avait tant changé. Elle ne reconnaissait plus celui qui l'avait courtisée. Comme elles étaient loin ses déclarations enflammées ! Et comme elle était malheureuse...

Elle en appelait à Nérée pour comprendre. Sa douce déesse d'élection, celle dont elle était persuadée qu'elle formait un lien entre les huit autres. Elle s'excusa timidement envers elle : ses soucis l'avait peut être maintenue loin de sa foi. Elle avait tant souffert qu'elle n'avait plus que fort peu réfléchi.

Elle avait tant souffert qu'elle n'avait que peu réfléchi. Un peu comme lui en somme...

Il était temps d'arrêter les frais.

Il est des instants ou un esprit ressemble à un funambule, le cours des événements tendus sous lui paraissant se dérober, le faisant basculer dangereusement.

Les mots de Celanil étaient ce déséquilibre dangereux. Au point qu'elle avait du serrer le poing à y faire rentrer les ongles dans la chair pour ne pas élever la voix. D'un seul coup, il n'y avait plus eu le froid. Juste la fureur qui l'envahissait et qu'elle n'avait controlée qu'à grand peine. Comme elle comprenait Arthur dans ces moments là ! Mais elle avait maitrisé la tempête et avait fait en sorte que seule l'indignation naturelle et compréhensible transperce la barrière de ses dents. Inutile que Celanil jouisse de l'avoir blessée plus qu'elle ne l'imaginait. Plus tard, avec le recul, Hilizil se rendrait compte d'à quel point ce reflexe de fierté était une bonne chose...

Ils ne pouvaient pas traiter avec elles s'ils pouvaient faire autrement.

Pouvaient ils faire autrement ? Peut être....

C'était une boutique de Gnome. De Gnome fervent disciple d'Ullanor. De Gnome, fervent disciple d'Ullanor ET collectionneur de babioles diverses. En fait, on peut même se demander s'il ne collectionnait pas... les collections.

Cette description du propriétaire permet de se faire un début d'idée de ce qu'était son établissement : un fatras poussiéreux entassé dans un réduit. Pourtant, il s'y était toujours retrouvé. C'est le propre des gens désordonnés que d'organiser leur désordre. Et finalement, vu les dimension du local, on devait lui reconnaitre un certain talent pour optimiser au maximum le trou dont il disposait.

La lumière du jour profita de ce qu'on ouvrait la porte pour ne plus se contenter de l'unique fenêtre au verre jauni et pénétrer, blanche et crue, dans le magasin. La clochette tinta et la porte se referma. Dans le silence du minuscule lieu, une charmante créature se tenait. Sa présence était incongrue. Le Gnôme sentit tressauter sa pomme d'Adam, se recoiffa vivement, puis il chevrota un bonjour sur une voix plus aïgue qu'il n'aurait voulu. La réponse de la jeune elfe fut aimable. Elle tenta d'examiner les présentoirs les mais y renonça bientôt, quand elle se fut aperçu qu'elle ne pouvait pas faire plus de trois pas dans une direction dans se heurter à l'un d'entre eux.

" Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- Oui... Vous n'avez pas de ces gros verres bombés qu'on met parfois sur des lorgnons ou sur les longues vues....?
- Je vois... on appelle celà une lentille...
- Vous en avez ?
- Toute seule non. Mais j'ai une loupe...
- Il m'en faudrait une assez grosse...
- Vous savez, c'est un article qu'on me demande assez peu. A part certains alchimistes ou botanistes... Ah... voilà... Ca vous irait ?
- Il faudra bien..."

Hilizil (puisqu'on se doute que c'était elle), regarda le verre, aussi gros que son poing. Il serait difficile de trouver plus gros et de pouvoir de le transporter, bien emmailloté, dans son sac. Il faudrait se contenter de ça.

Elle paya donc les vingt dragons demandés. Et repartit. Acheter cet objet était la partie la plus facile d'une mission qui la plaçait dans une situation émotionnelle si douloureuse qu'elle devait sans cesse s'en rappeler l'enjeu : sauver des vies.

Mais une fois celà accompli, elle savait qu'elle n'aurait de cesse de chercher un moyen de faire payer la Maîtresse de la tour d'entropie. Une haine violente s'était installée en elle qui n'en partirait que quand elle aurait pu venger douze malheureux elfes sacrifiés. Dans le feu qui la consumait une consolation : Celanil la haïssait en retour. C'était terriblement dangereux. Mais c'était aussi quelque chose dont elle pouvait un jour se servir...

Il faudrait être prudente. Il faudrait rester froide et maitresse d'elle même... La haine était justifiée. La colère aussi. Cependant, il ne fallait pas non plus les laisser l'aveugler.

"Douce Nérée, guide moi..."

Elle était inquiète.

D'abord, elle s'était aperçue que Pix d'absentait de la chambre d'auberge. Bien sûr, une fée a besoin de sortir. Mais c'était extrêmement dangereux. En outre, les rumeurs sur un familier voleur lui étaient parvenues et ça ne la rassurait pas...

Kouan avait raison : il fallait impérativement mettre la fée à l'abri en DEHORS de la ville. Yfond serait parfait en attendant qu'on puisse la ramener chez elle..

Ensuite, elle ressentait une curieuse apréhension dont elle ne parvenait pas à déterminer l'origine. Etait ce l'expédition à venir ? La curieuse rencontre qu'elle avait faite récemment ? Ou cette nouvelle récente qui la touchait de près ?

Peut être tout celà en même temps...

Elle vivait dans l'attente de ces instants trop rares ou les âmes et les corps se rejoignent enfin. Les querelles cessaient et le monde alentour qui les obsédait, eux les assoiffés de justice, cessait d'exister. Dans l'étreinte de fougue tendre qui les emportait était un soulagement bref qui sauvegardait un fragile équilibre.

Il faut bien pouvoir oublier un peu, quand même.

Oublier les soupçons, les complots, les désaccords sur la tactiques à adopter. Oublier les spectacles peu ragoûtants, le froid, la faim, la corruption du monde pour l'un, la terreur des nuits de solitude et la culpabilité larvée pour l'autre. Et pour les deux les fracas d'une guerre clandestine ou ils sétaient projetés par des choix dont ils n'avaient jamais perçu jusqu'alors les véritables enjeux..

Oublier aussi la haine de leurs ennemis. Pas celle sont ils sont victimes. De celle là, ils peuvent s'ennorgueillir. Mais plutôt celle, insidieuse, qui s'immisce dans ces deux jeunes coeurs. Il est peu d'âmes en cette ville triste et morne qui ne soient souillées d'une boue malodorante. Il est peu d'innocents.

Et pourtant, comme ils sont beaux ces amants improbables, dans leurs nudités vulnérables. Ils se livrent, totalement, se mettent en danger. Ils font table rase du passé, laisse l'avenir là ou il est et se soignent de baisers. Il faut bien qu'il y ait un refuge, une consolation. Une ultime paire de bras ou trouver de la joie, du rire. De l'amour, tout simplement.